Savon sans rouler amasse la mousse

savon-couleur-021Je m’appelle Greg. Peu importe mon prénom, cela ne changera pas le cours du récit. D’autant plus que mes parents m’avaient baptisé Dimitri. Mon histoire familiale compliquée m’a poussé à changer de patronyme après avoir subi des remontrances en pagaille. J’ai compris qu’il était plus difficile de remettre les points sur les i à Greg qu’à Dimitri. Autant vous dire que je suis brouillé avec ma famille depuis plus ou moins belle lurette.

Aujourd’hui, j’affectionne deux choses. Sentir l’odeur des savons qui remplissent ma maison, et laver. Nettoyer, frotter, briquer, décaper. Des savons, j’en ai plein. Beaucoup de savons de Marseille, ce qui me fait exagérer sans aucun doute la quantité des autres modèles. Du savon liquide, noir, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Des résidus de mon enfance. Je m’en sors bien, j’aurais pu hériter d’une collection de bretelles. Comme quoi, le conflit familial a du bon. Au départ, ma mère et mon père me remontaient les bretelles, justement. Jusqu’à ce que j’arrête d’en porter. Ils m’ont alors passé un savon, puis deux, puis trois, et ainsi de suite. Cela tombe bien, je préfère les savons aux bretelles. Comme tout le monde, j’imagine. Sauf peut-être les allergiques. Eux ne supportent pas le savon. Cela dit, ils n’ont pas de raison d’éprouver une attirance pour les bretelles. Mais je m’égare.

J’aime laver, donc. Longtemps j’ai été accusé de tirer la couverture à moi, ce qui selon mes proches nous précipitait dans de sales draps. J’ai alors voulu les nettoyer à l’aide des premiers savons que l’on me passait. Sans succès. J’ai fini par me séparer des draps et de ma famille, mais pas des savons. Si les premiers reproches m’affectaient, j’ai rapidement pu m’en laver les mains. Grâce au stock que j’accumulais.

Mes parents m’ont aussi jeté la pierre. J’ai vite compris l’avantage naturel du savon sur le caillou. En effet, pierre qui roule n’amasse pas mousse. Le savon, oui. Même sans rouler. A la réflexion, je l’ai échappé belle. Ils auraient pu choisir de me jeter l’eau propre, ce qui m’aurait rendu la tâche moins évidente et la tache plus aisée. J’ai donc quitté le giron familial, tel un porte-savon ambulant. Au début, je trainais toute la misère du monde. Une misère savonneuse mais porteuse d’espoir. Aujourd’hui, ses vertus se révèlent à mes yeux tous les jours un peu plus, me permettant de distinguer « décrasse » des crasses dont on m’accusait.

Encore maintenant, on casse du sucre sur mon dos. Ma famille n’y va pas par le dos de la cuillère à café. D’ailleurs, je me demande si ce n’est pas l’explication au fait qu’ils ont toujours pris leur café sans sucre. C’est une sale histoire. Au sens propre. Mais avec mon escouade de savons, je la rendrai encore plus propre.

Quand ce matin d’hiver je reçois un courrier de mes parents demandant la restitution des savons, je pouffe. Ils en ont besoin pour laver leur linge sale en famille. Je suis convoqué pour un règlement des différends entre quatre murs. A mesure que je revois dans ma tête les images de la maison, mon fou rire s’amplifie. Pas une pièce ne présente plus de trois murs. Chez eux, tout est de guingois. Si la missive s’accompagne de menaces de poursuites, moi, je m’en contrefous. J’ai de quoi me laver de tout soupçon !

A propos Mathieu Jaegert

...là où vont mes mots.
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2 commentaires pour Savon sans rouler amasse la mousse

  1. catongg dit :

    Tu peux très bien mettre du marc de café dans un savon, voire même du sucre. Histoire de laver mais également de récurer tout ce qui pourrait résister à un lavage standard (traces, et même les mauvaises odeurs).

  2. Tippi dit :

    Il y en a qui lave leur linge propre en toute discrétion. Il parait qu’ils sont toqués ? Une histoire de cuisine alors ? Avec tous ces savons, savons-nous nous rincer l’œil sans que ça pique ? Je savonne mon commentaire et je sens qu’il glisse…glisse… vers le n’importe quoi. Quoi ? Un savon bien sur (sans chapeau).
    A bon savonnage, salut !

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